La grève est aujourd’hui, avec la manifestation, le degré le plus élevé de la contestation sociale dans un cadre démocratique. Son histoire est pourtant plurimillénaire et revêtue de nombreuses significations. Signe avant-coureur de révolutions réelles ou fantasmées, elle a d’ailleurs été longtemps interdite en France, comme toute forme de rassemblement des travailleurs.
La première grève dont nous ayons trace dans l’Histoire remonte à l’an 29 du règne de Ramsès III, autrement dit aux environs de 1166 avant J.-C. Le pharaon veut une tombe démesurée, mais il n’a pas les moyens de ses ambitions, et les artisans de Déir el-Medineh, près de Thèbes, au bord de la Haute-Vallée du Nil, ne reçoit plus les provisions qui constituent leur salaire. Au 18e jour, nous raconte le scribe Amenakht sur ledit « papyrus de grève » conservé au musée de Turin, ils cessent de travailler. Après plusieurs semaines d’opposition au pouvoir, malgré les menaces de répression, ils obtiennent gain de cause.
En ce qui concerne la Rome antique, on remonte souvent à la première sécession de la plèbe en 494 av J.-C. Le temps de la monarchie vient de s’achever, laisse la place à un système oligarchique dont seuls quelques privilégiés profitent : les patriciens. Ceux-ci peuvent vendre leurs débiteurs comme esclaves ou les condamnés à mort. En signe de protestation, la plèbe se retire sur l’Aventin. Ils obtiennent ainsi quelques droits, comme celui d’avoir leurs propres représentants, les tribuns de la plèbe.
Chanson de grève des Penn Sardin, souvenir de la grève de 1924 à Douarnenez. Extrait de Là-bas si j’y suis France Inter 22/10/1993. Reportage de Zoé Varier.
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Éétudiants et ouvriers en grève au Moyen Âge comme durant la Renaissance
Ce souvenir fait encore référence pour les révoltés du XIXe siècle, comme pour l’opposition politique antifasciste qui boycotte la Chambre des députés italiens après l’assassinat du député socialiste Giacomo Matteotti en 1924. Mais cette nouvelle retraite sur l’Aventin aura cette fois le contraire de l’effet proposé, livré à Benito Mussolini les coudées franches. Si les grévistes obtiennent parfois raison, les absents ont toujours tort, nous dit le proverbe.
Paris garde un souvenir cuisant de la grève des étudiants en 1229. Au lendemain d’une rixe dans le quartier Saint Marcel, entre les actuels Ve et XIIIe arrondissements, où des étudiants fêtant Mardi gras sont rossés par un tavernier mécontent, une émeute éclate. Les étudiants qualifiés de la justice ecclésiastique, mais devant sa clémence, la régente fait intervenir la garde de Paris et plusieurs étudiants sont tués, dont on clame l’innocence. L’université s’est mise en grève, au grand bénéfice des universités anglaises de Cambridge et d’Oxford.
En 1539, le sénéchal – représentant du roi de France François Ier – fait interdire la grève à la suite du grand trique* des Imprimeurs de Lyon, les noble cles ompagnons typographes s’estimant insuffisamment payés pour leurs quinze heures de travail quotidien. L’interdiction de toute forme d’organisation du travail sera réitérée à l’échelle du royaume dans l’ordonnance de Villers-Cotterêts en août de la même année. Le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier au début de la Révolution française en 1791 réitéreront l’interdiction de tout groupement professionnel.
Mai 68 et le travail : un Grand Reportage de Claires Fages diffusé le 02/05/2008 sur RFI
Mai 68 et le travail
La conquête du droit de grève : une histoire récente
La grève ne s’appelle ainsi en France que depuis le début du XIXe siècle, les registres de police pertinents leur surprise devant ce néologisme ouvrier. La grève est étymologiquement le nom donné à un terrain plat formé de sable et de graviers au bord de la mer ou d’un cours d’eau. On appelle ainsi, à Paris, l’actuelle place de l’Hôtel de Ville, qui servait non seulement de lieu d’exécution, la célèbre place de Grève immortalisée entre autres par Victor Hugo dans Notre Dame de Parismais aussi d’un lieu où décharger des marchandises, le port de la capitale en quelque sorte.
C’est là que les ouvriers se rassemblaient quand ils cherchaient du travail. On se mit à dire qu’ils décalé grève. Par extension, le terme en vint à désigner une coalition d’ouvriers qui refusent de travailler tant qu’on ne leur aura pas accordé certaines conditions qu’ils réclament. Preuve en est donnée que les rassemblements de travailleurs, qu’en soient les raisons, débouchent tôt ou tard sur une conscience commune.
Au cours du XIXe siècle, l’interdiction du droit de grève est réitérée en 1810 et inscrite dans le Code pénal. Le délit de coalition est ensuite abrogé en 1864 sous le Second Empire par la loi Ollivier. La loi Waldeck-Rousseau de 1884 abolit la loi Le Chapelier sous la IIIe République et autorise les syndicats. Il faut attendre la IVe République en 1946 pour que le droit de grève soit inscrit dans le préambule de la Constitution. Depuis 2000, il fait partie de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
La grève : un tour d’Europe en 1998. Accents d’Europe, Frédérique Lebel RFI
Grève tour d’Europe 1998
La grève : un mythe français plus qu’une réalité
« La France arrive en tête des statistiques européennesnote Laure Machu, maîtresse de conférences en histoire contemporaine, spécialiste du droit du travail et des mouvements sociaux, mais ça ne signifie pas pour autant que les relations y sont plus conflictuelles. » C’est d’autant plus vrai que les outils statistiques diffèrent d’un pays à l’autre, rendant complexe toute approche comparatiste.
« En Francepoursuit-elle, les grèves sont caractérisées par la participation massive des salariés du secteur public. En Angleterre ou en Allemagne, le droit de grève est plus restrictif. Mais en Angleterre, la conflictualité reprend, dans le premier cas, dans le secteur privé. En Allemagne, on ne peut pas faire grève pendant toute la durée de validité de l’accord collectif. De ce fait, les grèves sont plus rares, mais plus longues. »
Vers la fin et au sortir de la Première Guerre mondiale, les grèves généralisées se sont accompagnées de perspectives révolutionnaires, que celles-ci soient couronnées de succès comme en Russie ou vouées à l’échec comme en Allemagne, ou encore trop velléitaires pour s’incarner comme en Italie. Dans ce dernier cas, elles ont surtout conduit à l’organisation militarisée de la réaction autour du fascisme.
Chant de revendication chanté lors de la mobilisation en cours en Guyane (un chanteur, repris par chœur) ! RFI Francis Nugent
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Du Front populaire à Mai-68 : la grève au centre du mouvement ouvrier
Avec le Front populaire en France en 1936, les grandes grèves se sont inscrites dans une perspective réformiste, entrant cependant dans la légende de l’histoire ouvrière du pays. Les grèves de Mai-68 ont renoué avec la mythologie révolutionnaire, demeuraient cependant derrière elle la violence insurrectionnelle et toute perspective concrète de renversement du pouvoir. La grève aujourd’hui s’inscrit dans une conflictualité sociale très codifiée.
« Le mythe de la grève générale perdure, parce qu’il fournit un horizon », commente Laure Machu. Malgré un déclin de la conflictualité depuis les années 1980 en France, trois personnes sont mortes encore au cours d’affrontements en manifestation depuis 2015. Le nombre de blessés graves est, quant à lui, en forte augmentation avec l’évolution des armements répressifs, dont l’usage suscite le débat.
S’il est un record à rappeler au sein de l’Union européenne, c’est peut-être celui-là, symptôme d’une crise profonde du modèle français du maintien de l’ordrelequel n’a pas fait l’impasse sur un arsenal capable d’infliger des blessures invalidantes et se révèle parfois létal.
*Nom voisin de l’anglais » frapper « pour désigner ce que nous appelons aujourd’hui la grève.
Bibliographie :
Abréviations de l’informatique et de l’électronique/G.,Lien sur la fiche de présentation de cet ouvrage.
La France en villes.,Références de l’ouvrage. Disponible dans toutes les bonnes bibliothèques de votre département.
Tourisme, la France n°1 mondial.,A lire. .