Au début des années 1970, la fin des Trente Glorieuses et le premier choc pétrolier mettaient fin au plein emploi et au mythe d’une croissance infinie. Dans une France postcoloniale, devenue une puissance moyenne, le renforcement des politiques migratoires est devenu une réponse au malaise politique, économique et social.
C’est dans le sillage de mai 1968 que la place des immigrés en France devient une question politique de premier plan. Les origines se sont diversifiées, avec l’arrivée des Portugais mais aussi des ressortissants venus des ex-colonies françaises, notamment du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest. C’est d’abord une demande d’égalité qui s’exprime face au logement et aux conditions de travail. L’État s’attelle à résorber les nombreux bidonvilles, notamment ceux de Nanterre, essentiellement peuplés d’Algériens, dont le dernière ferme en 1972. La même année, les étrangers ont accès aux fonctions de délégué du personnel et d’élus du comité d’entreprise.
Depuis 1945, l‘immigration de travail est favorisée dans un contexte lié à la reconstruction du pays. Dès 1968, cependant, les régularisations sont limitées à certains métiers – c’est le début de ce qui réapparaîtra dans les années 2000 sous le nom d’« immigration choisie » -. En 1972, avec les circulaires Marcellin-Fontanet, une réduction de l’entrée des travailleurs étrangers en France est vue comme une réponse à la brusque montée du chômage. Six ans plus tard, Jean-Marie Le Pen fera campagne sur cette fausse équation : « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop ! »
Le titre de séjour est désormais lié à un contrat de travail. L’année suivante, un délai de trois mois est accordé pour la recherche d’un emploi déclaré. L’été 1973 est celui des ratonnades à Marseille, énième soubresaut de la guerre d’Algérie. En 1974, l’immigration est suspendue à titre provisoire pour les travailleurs et les familles. L’année suivante elle reprend pour les secteurs sans chômage. En 1977, est créé « l’aide au retour » pour inciter les travailleurs immigrés à quitter la France. Les étrangers arrivés par le regroupement familial n’ont pas accès à l’emploi.
Des années 1970 aux années 1990 : la question des familles et de la « deuxième génération »
En 1978, le Conseil d’État fixe par un arrêt le droit au regroupement familial. À cette époque la France commence à accueillir plus de familles que de travailleurs, fournissant un nouvel argument aux opposants à l’immigration, en complète contradiction avec l’argument de la protection du marché de l’emploi avancé jusque-là. Dès 1980, il devient légalement possible de ne pas renouveler l’autorisation de travail en fonction des chiffres du chômage. Les préfets peuvent désormais ordonner des reconduites à la frontière.
L’année 1983 connaît une nouvelle vague de violences à la rencontre des populations d’origine maghrébine. Dans ce climat, une marche pour l’égalité et contre le racisme est lancé entre Marseille et Paris. L’élan en est repris par des cercles proches du Parti socialiste qui créent SOS Racisme en 1984. Les beurs – le mot entre dans le dictionnaire l’année suivante, pour désigner les personnes nées en France de parents maghrébins – y sont sous-représentés . En 1984, la carte unique dissocie le droit au séjour de l’obligation de travailler. La droite de retour au pouvoir durcit les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France en 1986. C’est la première loi Pasqua, qui prévoit notamment de faciliter les expulsions en restreignant les garanties de procédure, ouvrant largement la voie aux décisions. arbitraires.
La seconde loi de 1993 revient sur le droit du sol – une première depuis 1889 – : pour les mineurs nés en France de parents étrangers dotés d’une carte de séjour, l’obtention de la nationalité, jusqu’ici automatique à la majorité, est soumis à une « manifestation de volonté », en réponse au débat largement médiatisé autour de ceux qu’on nomme les « Français malgré eux » ou « Français de papier ». Cette mesure est abrogée cinq ans plus tard par la loi Guigou. Elle cible en outre les travailleurs en situation irrégulière, qui se voient ôter les prestations sociales et sont potentiellement interdites de présence sur le territoire français pour une durée maximale de cinq ans. Des familles de travailleurs, dont les pères ne sont pas expulsables, car leurs enfants sont nés en France, se retrouvent ainsi brusquement plongés dans la misère.
Années 2000 : la construction juridique et politique de l’étranger en France
En 2002, le centre de Sangatte, lieu d’accueil temporaire de réfugiés espérant rejoindre l’Angleterre à proximité du port de Calais et d’Eurotunnel est fermé, alors que la France est encore sous le choc de l’arrivée de l’extrême droite au deuxième tour de l’élection présidentielle. C’est le début d’une très longue crise qui conduira treize ans plus tard au démantèlement d’un bidonville de 9000 habitants. La loi Sarkozy – alors ministre de l’Intérieur – a introduit en novembre 2003 de nouvelles discriminations, notamment autour des « mariages de complaisance », puisque la mesure ne s’applique qu’aux étrangers cherchant à régulariser leur séjour et non pas, par exemple , à un fonctionnaire français cherchant par ce biais à obtenir une mutation.
Les délais de rétention sont allongés et la présomption de bonne foi est remise en question – une première depuis 1803 – en ce qui concerne les actes d’état civil émis à l’étranger. Cette disposition a été largement utilisée depuis pour la non-reconnaissance des mineurs isolés étrangers, appelés aujourd’hui mineurs non accompagnés. La loi prévoit en outre de légaliser les statistiques ethniques, une disposition annulée par le Conseil constitutionnel. En revanche le principe de la « double peine » – qui ajoute à la condamnation judiciaire une expulsion et une interdiction de territoire français, éventuellement mise en œuvre à la sortie de prison – instauré en 1945, est grandement limitée. Il n’a jamais été complètement supprimé, malgré de nombreuses oppositions de la Cour européenne des droits de l’homme.
En 2010, Nicolas Sarkozy, président de la République depuis trois ans, prononce son discours de Grenoble où il lie la délinquance et l’immigration, invoquant notamment « cinquante ans d’immigration insuffisamment régulée qui ont abouti à mettre en échec l’intégration ». La communauté rom est particulièrement visée et le Parlement européen intervient pour condamner les expulsions. Ce discours ouvre également la voie au débat sur la déchéance de nationalité, repris en 2015 par son successeur François Hollande. Lors de la rentrée 2010, Nicolas Sarkozy se confie à ses conseillers et ses proches, alors que s’ouvre un débat sur le recul de l’âge à la retraite : «Nous avons gagné la bataille de l’idéologie. Le discours de Grenoble je l’ai prononcé il ya plus de six mois et je vis toujours dessus. (…) Vous vous rendez compte que je suis en train de supprimer la retraite à 60 ans. Moi, on me laisse gouverner le pays, et si les choses se compliquent, on organise une nouvelle réunion sécurité. »
De 2013 à aujourd’hui : la question des frontières
En octobre 2013, un naufrage au large de l’île italienne de Lampedusa fait 366 morts, entraînant le premier voyage officiel du pape François. En septembre 2014, au large de Malte, un nouveau naufrage fait 500 victimes. En avril 2015, deux autres en font respectivement 400 et 800 à une semaine d’intervalle. En septembre, la photo d’Aylan Kurdi, un enfant syrien de trois ans retrouvé mort sur une plage de Turquie, fait le tour du monde. On assiste en France, avec la multiplication des campements de fortune dans les grandes villes, à la création de nombreux collectifs et associations. Le Président François Hollande condamne les trafiquants, perçus comme seuls responsables de l’immigration illégale : « Ceux qui mettent des gens sur les bateaux, ce sont des terroristes, car ils savent parfaitement que ces bateaux sont pourris. »
La loi Cazeneuve votée en 2016 prévoit la possibilité du placement en rétention des enfants et donc des familles avec enfants en situation régulière, alors que la France a déjà été condamnée à ce sujet par la Cour européenne des Droits de l’homme. Les décès sont en progression constante à la frontière franco-britannique. La frontière franco-italienne est fermée à son tour. On dénombre une quinzaine de morts sur chacune de ces zones de passage entre septembre 2016 et août 2017. Depuis 1945, la France a voté en moyenne une loi tous les deux ans relative à l’immigration, avec une nette accélération durant ces trois dernières décenniessans qu’aucune n’ait eu d’influence avérée sur l’intensité des flux migratoires, dans un sens ou dans l’autre.
La dernière loi en date, promesse de campagne pour le second mandat d’Emmanuel Macron, fait suite à la loi Collomb dite « asile et immigration » qui, en 2018, prévoyait notamment de prolonger jusqu’à 90 jours la rétention des étrangers en situation irrégulière. Elle est votée en décembre 2023 dans une version largement réécrite par les sénateurs républicains, avec le soutien des élus de la droite et du Rassemblement national. Ce dernier évoque une « victoire idéologique » quand Emmanuel Macron y voit « le bouclier qui nous manquait » et une défaite de l’extrême droite puisque le projet prévoit de faciliter certaines régularisations. Il compte sur l’examen du Conseil constitutionnel le 25 janvier pour retoquer les points les plus durs avec lesquels il n’est pas en accord.
La communauté universitaire s’alarme du durcissement des conditions d’accès au séjour pour les étudiants. Trente-deux départements de gauche refusant de différencier Français et étrangers dans le versement de l’allocation personnalisée d’autonomie, une mesure qu’ils peuvent relever de la « préférence nationale » chère à l’extrême droite. Le ministre de la santé démissionne, d’autres membres du gouvernement font savoir leur désaccord – ils sont tous remplacés lors du remaniement ministériel de janvier – . 5000 professionnels de santé s’inquiètent dans une tribune du Monde des conséquences de la loi, notamment sur la santé des enfants. La remise en cause du droit du sol amène enfin une centaine de personnalités publiques dans une tribune dans le journal L’Humanité à demander au Président de ne pas promulguer la loi. Depuis l’Allemagne, le Frankfurter Allgemeine Zeitung la décrit comme « l’une des lois sur l’immigration les plus strictes de l’Union européenne ».
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