C’est une circulaire au ton ferme, signée de la main de Michel Barnier, adressée à tous les membres du gouvernement en date du 12 novembre. La consigne principale tient en une phrase : pas question de jouer à Starsky et Hutch en poussant à fond les moteurs de leurs berlines de fonction lorsqu’ils sont en déplacement officiel car l’heure, répète le Premier ministre depuis sa nomination, est à la « sobriété » et à la « simplicité ». « Low profile » (profil bas en anglais), répète son entourage. Le texte conseille, de même, aux membres du gouvernement d’emprunter le train plutôt que l’avion, « dans toute la mesure du possible », pour les trajets de moins de deux ou trois heures par voie ferrée, précise Matignon. François Hollande, sors de ce corps ?

Lors des commémorations du 11 Novembre à Meaux (Seine-et-Marne), ville de Jean-François Copé où il s’était rendu pour visiter le musée de la Grande Guerre, Michel Barnier s’était étonné d’être escorté par six motards, jugeant le chiffre excessif. Dès sa nomination, il avait demandé à ses chauffeurs de respecter autant que faire se peut les limitations de vitesse et d’éviter la sirène « deux tons » et le gyrophare, sauf impératif de sécurité, par exemple si son véhicule se retrouvait momentanément immobilisé dans la circulation.

S’il n’entend pas proscrire l’avion, lui-même voyage régulièrement en train, pour se rendre récemment à Bruxelles, à Angers ou à Mâcon pour le congrès des sapeurs-pompiers avec Bruno Retailleau. Les esprits taquins apprécieront cette précision apportée par son cabinet : lorsque Michel Barnier prend le train, aucun avion officiel de secours (un spare, dans le jargon) ne décolle en parallèle pour la même destination.

Le rappel sur les limitations de vitesse et le Code de la route n’est pas inutile tant l’histoire politique regorge d’élus de premier plan et de représentants de l’État pris en flagrant délit d’appuyer un peu trop sur l’accélérateur ou de prendre des libertés avec les règles. En novembre 2021, selon La Tribune de Lyon, le cortège de Jean Castex, alors Premier ministre, était flashé à deux reprises à Lyon, dont une fois sous le tunnel de Fourvière, fréquemment embouteillé. En septembre dernier, c’est un proche collaborateur d’Éric Ciotti – partisan de la « tolérance zéro » sur la délinquance routière – qui s’était fait attraper à 175 km/h, au lieu de 110, sur l’autoroute A8, soit un dépassement astronomique de 65 km/h, qui plus est pour un jeune conducteur.

« Les Français nous regardent »

Édouard Philippe lui-même, du temps où il était encore député LR, avait eu droit à une suspension de permis de deux mois, à une amende gratinée et à un retrait de points après avoir été flashé à l’automne 2015 à 155 km/h, au lieu de 110, sur l’A13 en direction de Paris. Il s’était platement excusé au nom de « l’exemplarité ». Savoureux venant de l’homme qui allait plus tard réduire de 90 à 80 km/h la vitesse sur les routes sans séparateur central. Dans un registre tout aussi cocasse, on se souvient en 2003 des ministres Gilles de Robien et Nicolas Sarkozy, alors en charge des Transports et de l’Intérieur, repérés par Auto Plus en excès de vitesse… alors qu’ils allaient inaugurer le premier radar automatique dans l’Essonne ! Illustration parfaite de l’adage : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ».

Lors des déplacements ministériels, « la sobriété et la simplicité doivent être recherchées : les moyens déployés ne revêtiront en aucun cas un caractère ostentatoire et vous veillerez à ce que la circulation des convois ministériels ne déroge pas au respect du Code de la route, sauf nécessité strictement justifiée par un impératif de sécurité », est-il ainsi écrit dans cette circulaire consultée par Le Point, que Michel Barnier appelle ses ministres à respecter « scrupuleusement ».

À Découvrir

Le Kangourou du jour

Répondre

De même, le texte invite à la modération sur la taille des délégations composant les cortèges, en s’en tenant « au nombre de conseillers nécessaires ». Chacun est invité, par respect, à prévenir de sa visite le préfet et les élus de la zone concernée, toutes tendances politiques confondues, sauf situation exceptionnelle de crise. Pas question, enfin, de se sauver comme des voleurs au terme des visites. « L’organisation d’un déjeuner ou d’un dîner républicain en préfecture sera envisagée chaque fois que votre temps sur place le permettra. C’est une tradition républicaine à laquelle je suis attaché », insiste Michel Barnier.

« Les Français nous regardent », rappelle Matignon, pour qui les membres du gouvernement ne sauraient s’octroyer des privilèges au moment où les Français sont priés de faire des efforts pour réduire le gouffre abyssal du déficit. Le Premier ministre aura d’autant plus de facilité à vérifier le bon suivi de sa circulaire que son chef de cabinet est celui qui donne l’autorisation, ou non, aux avions de la République de décoller avec des ministres à bord.